Ah ! ce fut rude. Je ne suis pas bon en maths, c'est connu, mais j'aime cette activité qui permet de faire fonctionner mes neurones sans trop penser au sort de cette pauvre planète.
J'ai des lacunes, je dois réviser à chaque nouveau défi, et je ne suis pas dépourvu de ces manies qui me font sur le métier remettre cent fois l'ouvrage.
LE CAS RET
Dimanche dernier 28 avril,
C.Ret nous fournit une énigme parmi celles que j'affectionne, les géométriques, et je décidai d'écrire mon cheminement erratique ce 1
er mai, jour de la fête du Travail. Au commencement était...
<-- ... l'illustration du problème.
Si un carré
ABCD est constructible à partir des seules données
EA,
EB et
EC, il doit, comme le précise l'énoncé, avoir approximativement cette tête (au carré). J'ajoutai deux droites perpendiculaires, verticale et horizontale, passant par
E, permettant de définir
v,
w,
x et
y, composantes du côté
a.
Pythagore et son té aux rênes me permirent de constater que :
D'où :
- z²=9-w²+25-y² => z²=9-w²+25+w²-16
Alors, les
w s'éliminant :
- z²=v²+x²=18 => z= √18 = 3.√2
Tout cela était bel et bon, nous tenions le quatrième segment reliant
E et
A, mais comment calculer
a, le côté du carré indispensable pour le tracé ?
PREMIÈRE FAUSSE PISTE !
J'eus un éclair de génie
sans bouillir (*), ce qui me valut une première déconvenue : "Et s'il suffisait de calculer les aires des rectangles (obtenus en doublant par symétrie les triangles inscrits dans le carré), de les diviser par 2 pour revenir aux triangles, de les additionner pour obtenir l'aire du carré et d'enfin prendre la racine de ce résultat pour aboutir au côté
a ? " me suis-je dit ; et me voilà calculant :
- a = √[(5*4/2)+(3*4/2)+(3*3√2/2)+(5*3√2/2)]
c'est-à-dire la racine carrée de la somme des aires des triangles ; le résultat est plausible : à partir de ce raisonnement, a = 5,74199 98910 2...
Hélas, une première tentative de construction du carré, avec des cercles concentriques autour de E représentant par ordre croissant les possibilités de placement des points C, B, D et A ne pouvait que me décevoir (cliquons sur la figure 2 pour estimer l'ampleur des dégâts) :
Ce que j'obtenais ressemblait davantage à du Picasso ou du Buffet (qu'ils m'excusent) qu'à un beau carré. La raison devait m'en venir un peu plus tard : les triangles qui forment le carré ne sont pas des triangles rectangles ! ils sont quelconques, et leurs aires sont uniquement calculables par la mesure de leurs hauteurs (selon la formule BASE x HAUTEUR / 2). Je passais de longues minutes de la journée suivante à tenter d'autres méthodes, hésitant à me lancer dans des calculs trigonométriques que je maîtrise difficilement. Puis la nuit venue, il me vint une idée.
(*) : Trouvez l'âge du capitaine.
DEUXIÈME FAUSSE PISTE ?
"Et si..." songeai-je vers les quatre heures du matin, "et si les quatre segments liant le point E et les sommets du carré pouvaient former une moyenne ?" ; j'allumai aussitôt le téléphone, activai la merveilleuse application
Free42 et réalisai rapidement et sans simplification le calcul :
- a = √([(3+4+5+3√2)/4]²+[(3+4+5+3√2)/4]²)
J'obtenais 5,74264 06871 2... pas très loin du résultat précédent ! Allais-je aboutir à la même œuvre d'art ?
Ici, je dois m'arrêter pour vous faire toucher du doigt ce qui me fascine dans les mathématiques : non pas le calcul roboratif, ni les simplifications attendues qui, pour élégantes qu'elles soient, masquent le raisonnement ; non, ce qui me plaît, c'est la fulgurance de l'intuition. Il n'y a rien de plus enthousiasmant que de constater la disparition soudaine des contraintes, de sentir tous les horizons s'éclaircir et vous envoyer leurs effluves, rien de comparable à l'excitation d'imaginer soudain la solution à portée de main, sinon celle que peut sentir un marin à l'approche de la terre au sortir du Pot-au-Noir. Je n'exagère pas.
Je devais vérifier cela à nouveau. J'étais inquiet, me demandant si ce résultat légèrement supérieur allait engendrer une figure encore moins satisfaisante (cliquons derechef sur la figure 3 pour nous faire mal) :
La même déception m'attendait, le dernier segment que je ne traçais même pas était plus court que les précédents, quel que fût le sens de la construction. La conclusion provisoire que je devais en tirer : la moyenne, pas plus que les fausses aires, ne permettait d'atteindre le but !
L'intuition est-elle toujours trompeuse ? En l'occurrence, elle m'avait déçu.
Il me fallait étudier le problème autrement.
Il n'était pas question que je m'étourdisse à mesurer des hauteurs pour les triangles inscrits : j'avais bien un moment tâtonné dans cette direction, mais le nombre des équations résultantes m'avait paru décourageant. En désespoir de cause je m'attelai à la résolution angulaire de l'énigme.
LA SOLUTION EST DANS LE BOUILLON
Du point de vue trigonométrique, il semblait que trouver la longueur du côté
a pût être résolu simplement avec les données dont on disposait à l'énoncé : les deux triangles
AEB et
BEC et les trois longueurs 5, 4 et 3. C'était le fait d'avoir affaire à un angle droit (le point
B) qui permettait d'avoir,
intuitivement, cette certitude. Mais cette intuition était-elle sûre ?
Il n'y avait pas d'autre moyen que de la vérifier par le calcul et plus précisément, par la mise en forme algébrique de cet aspect du problème. Je noircissais quelques feuillets de croquis et formules dans le but de poser de beaux systèmes d'équations qui, les salopards, aboutissaient immanquablement à des solutions du type 3 = 3, ce qui ne permettait même pas de dessiner la tête à Toto. J'étais découragé.
Entretemps, un heureux candidat avait soufflé un indice sur le forum :
Gilles59 prétendait avoir résolu le problème au moyen des vecteurs. Je me demandai s'il parlait bien de résoudre le problème de la longueur du côté
a et non seulement celui de la longueur (D,E), ce qui montre assez mon ignorance de cette catégorie des mathématiques. Je ne me décidais pas à emprunter cette voie mais, intrigué, j'avisai un ouvrage de ma bibliothèque que je n'avais guère ouvert jusque là, le Manuel d'Applications des calculateurs HP-19C/29C...
On y parlait des vecteurs, mais je passai rapidement ces passages pour aborder avec intérêt le chapitre consacré à la Trigonométrie et à la Géométrie Analytique ; j'y trouvai une formule que je cherchais, sans doute, sans le savoir : j'avais en effet songé à résoudre ce deuxième problème à partir du constat que les quatre angles formés au sommet E comptent nécessairement 360 degrés, mais n'avais encore rien écrit dans ce sens. Or, la formule dite "SSS" (pour l'anglais
Side-Side-Side) s'appliquait merveilleusement au problème :
A1 = acos [(S1² + S2² - S3²) / (2 x S1 x S2)]
avec S3, le fameux a, mon Arlésienne, au numérateur.
Posant le livre, j'écrivis rapidement le système :
- γ'' = acos [(9+18-a²)/18√2]
- γ''' = acos [(18+25-a²)/30√2]
où γ+γ'+γ''+γ''' = 360 °.
Mes compétences, hélas, ne pouvaient me permettre de le résoudre : comment sortir le "a" ? devais-je encore noircir moultes pages et perdre un temps précieux ? Ah... oui, je pouvais dire que je ramais ! J'en étais à me demander si l'eau coulait dans le bateau, ou si le bateau coulait dans l'eau !
Et l'échéance approchait ; le brillant
zpalm, expert en tubulures mathématiques, avait commencé à s'intéresser au problème ! Je devais trouver... LA SOLUTION !
La solution ? Le mot me rappelait mes souvenirs de chimie en seconde : la solution... aqueuse ? Le problème me fatiguait. Quand soudain...
UNE LICORNE ME SOUFFLA LA SOLUTION
La solution consistait à utiliser la puissance d'un calculateur pour tester différentes valeurs de
a aboutissant à l'annulation de la formule ! C'était, je le lui dis, « un peu grossier », mais elle ne me répondit rien ; il s'agissait après tout d'obtenir un résultat ! Je traçai le logigramme ci-dessus : la machine devait elle-même s'approcher de la solution en fonction d'un pas modifiable en valeur et en sens et à un degré de précision suffisant pour obtenir un tracé convenable du carré. Je passais la soirée du 2 mai à élaborer ce schéma de l'algorithme. Deux machines et leurs batteries s'offraient à moi : l'HP-29c de mes études et l'HP-15c LE de mon bureau. Dans la foulée, j'entrai sans erreur le programme pour la seconde ; plus rapide, plus spacieuse et me moquant de son bogue de la pause inexistante, j'assistai ébahi au calcul dont le témoignage était ce
running,
running,
running... une dizaine de fois, puis à l'affichage victorieux du résultat obtenu en moins de sept secondes en partant de la valeur 5 pour aboutir à 5,65390 3923 ! Je pouvais tracer mon schéma !
«
La satisfaction intérieure est en vérité ce que nous pouvons espérer de plus grand. »
Spinoza
Voici le programme pour HP-15c (LE) ; il est grossier, peu importe. Il démontre que lorsque l'algorithme est correct et schématisé, le programme vient plus facilement.
Code : Tout sélectionner
001 42.21.11 LBL A
002 43 7 DEG
003 42 34 f REG
004 48 .
005 1 1
006 44 00 STO 0 'Pas'
007 26 EEX
008 8 8
009 10 /
010 44 9 STO 9 'Précision'
011 42. 7. 9 FIX 9 'Format Affich.'
012 31 R/S 'Entrée N'
013 42.21.12 LBL B
014 43 11 x²
015 44 1 STO 1 'R1²'
016 4 4 'Calcul'
017 1 1
018 36 ENTER
019 45 1 RCL 1
020 30 -
021 4 4
022 0 0
023 10 /
024 43 24 acos
025 2 2
026 5 5
027 36 ENTER
028 45 1 RCL 1
029 30 -
030 2 2
031 4 4
032 10 /
033 43 24 acos
034 40 +
035 2 2
036 7 7
037 36 ENTER
038 45 1 RCL 1
039 30 -
040 2 2
041 11 SQR
042 1 1
043 8 8
044 20 *
045 10 /
046 43 24 acos
047 40 +
048 4 4
049 3 3
050 36 ENTER
051 45 1 RCL 1
052 30 -
053 2 2
054 11 SQR
055 3 3
056 0 0
057 20 *
058 10 /
059 43 24 acos
060 40 +
061 3 3
062 6 6
063 0 0
064 30 - 'Fin calcul'
065 44 3 STO 3
066 43 20 x=0? 'Sait-on jamais...'
067 22 15 GTO E
068 45 2 RCL 2
069 43 20 x=0? 'Pas de comparaison...
070 22 13 GTO C '... possible.'
071 45 03 RCL 3
072 43 16 ABS
073 44 4 STO 4
074 45 2 RCL 2
075 45 4 RCL 4
076 43 10 x<=y? 'R4<=R2?'
077 22 14 GTO D
078 45 0 RCL 0 'Change le pas.'
079 16 CHS
080 2 2
081 10 /
082 44 0 STO 0
083 22 13 GTO C
084 42 21 14 LBL D 'Test de précision.'
085 45 9 RCL 9
086 36 ENTER
087 45 2 RCL 2
088 45 4 RCL 4
089 30 -
090 43 10 x<=y? 'Précision atteinte.'
091 22 15 GTO E
092 22 13 GTO C
093 42 21 15 LBL E 'Fin.'
094 45 01 RCL 1
095 11 SQR 'Affichage a."
096 43 32 RTN
097 42 21 13 LBL C 'Incrémentation.'
098 45 03 RCL 3
099 43 16 ABS
100 44 2 STO 2
101 45 1 RCL 1
102 11 SQR
103 45 0 RCL 0
104 40 +
105 44 1 STO 1
106 22 12 GTO B 'Reprend la boucle avant calcul'
En entrant la valeur 5, le programme boucle quatre-vingt-deux fois avant de donner le résultat 5,653903923...
R0 (le pas) vaut à la fin 5,960464.10^-09. Il convient de se méfier des deux dernières décimales.
Un grand merci à C.Ret pour ce divertissement !
L'illustration du Robinson dialoguant avec la licorne provient du premier album de Fred daté de 1972 : Philémon et le naufragé du A, dont je recommande chaudement la lecture.
Aujourd'hui, je ne comprends toujours pas pourquoi la méthode de la moyenne ne fonctionne pas : la rigueur de cette idée a séduit mon intuition et ma raison peine à déterminer mon erreur ! Je ne crois pas qu'il s'agisse d'une difficulté de moyenne pondérée ou non, je ne vois d'ailleurs pas pourquoi il faudrait pondérer quoi que ce soit. Peut-être, à défaut d'utiliser la moyenne, doit-on utiliser la médiane ? Une idée folle ? C'est à creuser. Quelle aventure !
J'édite ce dimanche ce message pour vous dire que laisser une semaine de répit avant la publication des solutions me semble vraiment une bonne chose. Non seulement, comme je l'ai déjà signalé, cela permet à tous de participer avec du temps et sans complexe, mais en plus, ainsi que nous le voyons aujourd'hui, cela permet aux plus avancés de peaufiner leur solution et de les présenter de manière très agréable (bravo en particulier à Gilles !). Merci à tous pour avoir présenté plusieurs manières de relever ce défi, et une nouvelle fois à celui qui en a eu l'initiative, C.Ret !